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COMMENTAIRES
SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
DE L'HUMILITÉ
1. La divine Écriture, frères, nous proclame : « Quiconque s'élève sera humilié, et qui s'humilie sera élevé. »
2. En parlant ainsi, elle nous montre que toute élévation est une sorte d'orgueil.
3. Le prophète fait voir qu'il s'en garde, lorsqu'il dit : « Seigneur, mon cœur ne s'est pas élevé et mes yeux ne se sont pas levés. Je n'ai pas marché dans les grandeurs, ni dans des merveilles au-dessus de moi. »
4. Mais qu'arrivera-t-il, « si mes sentiments n'étaient pas humbles, si j'ai exalté mon âme ? Comme l'enfant sevré sur sa mère, ainsi tu traiteras mon âme. »
5. Aussi, frères, si nous voulons atteindre le sommet de la suprême humilité et si nous voulons parvenir rapidement à cette élévation céleste, à laquelle on monte par l'humilité de la vie présente,
6. il nous faut, pour la montée de nos actes, dresser cette échelle qui apparut en songe à Jacob, et sur laquelle il voyait des anges descendre et monter.
7. Cette descente et cette montée n'ont assurément pas d'autre signification, selon nous, sinon que l'élévation fait descendre et l'humilité monter.
8. Quant à l'échelle dressée, c'est notre vie ici-bas. Quand le cœur a été humilié, le Seigneur la dresse jusqu'au ciel.
9. D'autre part, les montants de cette échelle, nous disons que c’est notre corps et notre âme. Dans ces montants, l'appel divin a inséré différents degrés d'humilité et de bonne conduite, pour qu'on les gravisse.
L’humilité ressemble à un poisson qu’avec grand effort on a réussi à attraper. Et à peine croit-on l’avoir saisi qu’il nous glisse entre les mains et nous échappe de nouveau… Ou pour reprendre l’image de l’échelle, il nous faut beaucoup descendre en nous-mêmes, et puis nous surprendre à nous être exalté au-dessus de nous même pour redescendre de nouveau en nous-mêmes, avant de nous apercevoir que nous nous sommes de nouveau exaltés, mis en avant, situés comme si nous étions le tout…. Entre orgueil où nous nous élevons aveuglément et humilité où nous ouvrons un peu plus les yeux sur notre vérité profonde, nous oscillons comme en un mouvement de yoyo. Telle est notre condition de pécheur en cette vie, en quête de notre juste identité et positionnement, et devant nous-même et devant les autres et devant Dieu. En retrouvant ce long chapitre de la règle, nous sommes de nouveau conviés à chercher, à creuser ce mystère de l’humilité. Pourquoi cette obstination à creuser et à mieux comprendre ce qui nous échappe toujours ? Parce que St Benoit en fait comme le dynamisme spirituel fondamental de notre attention intérieure. Parce qu’il est précieux pour demeurer ouvert et à l’écoute de la parole et de l’œuvre de l’Esprit. Jamais satisfait, jamais arrivé, toujours en chemin, toujours en quête. Dans la vie monastique qui nous entraine vers une connaissance de soi plus grande, ce cap intérieur peut permettre de déjouer bien des pièges de l’orgueil, que ce soit ceux de l’enflure aveuglée « non je ne demanderai pas pardon », ou bien ceux du repli dépité sur soi « je suis trop nul » … Paradoxalement, l’humilité nous entraine à un déplacement continuel qui s’accompagne de surprise en surprise sur nous-même, mais aussi sur notre Dieu. Car loin d’être surplombant, et encore moins écrasant, notre Dieu nous dévoile son propre visage au fur et à mesure qu’il nous entraine vers notre propre vérité. En Jésus qui s’est abaissé pour nous rejoindre au plus près et pour nous sauver, nous apprenons combien l’humilité, loin d’être un auto-flagellation mortifère, est intimement liée au mouvement de l’amour. Elle est même une expression de l’amour divin. A la suite de Jésus, en lui emboitant le pas, il nous est proposé de faire nôtre cette manière d’aimer, de nous aimer nous-même avec nos faiblesses, nos failles, notre péché, d’aimer nos frères comme ils sont sans les juger, et d’aimer notre Dieu de nous approcher de Lui, sans crainte d’être jugé par Lui. En nous invitant à gravir les échelons de l’humilité, c’est-à-dire à descendre toujours plus dans notre vérité et dans celle de Dieu, St Benoit nous invite finalement à grandir dans l’amour, comme le révèlera le sommet de l’échelle.