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HOMELIE
04 aoûtannée 2023-2024
Année B - 18e dimanche TO, dimanche 4 août 2024
– Ex 16, 2-4.12-15 ; Ep 4, 17.20-24 ; Jn 6, 24-35
Homélie du F. Charles Andreu
La satiété et la faim. Les lectures de ce dimanche, à travers l’image du pain, entendent évidemment susciter un discernement : quelle nourriture me fera vivre vraiment ? Mais plus radicalement encore, elles interrogent notre expérience de la satiété et de la faim.
La question est d’ordinaire vite résolue : la faim est mise du côté de la souffrance et de la peine, de ce manque que doit combler la satiété : être heureux, c’est être rassasié. Dieu n’est-il pas celui qui « comble de biens les affamés » ? Jésus ne promet-il pas : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » ?
Pourtant, la Sagesse divine, au livre de Sirac, promettait exactement le contraire : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif. » (Si 24,21) Ou encore, dans la première lecture, la satiété est le propre de l’esclavage d’Égypte, et c’est la faim que Dieu fait d’abord connaître au peuple qu’il a libéré.
Sommes-nous faits pour la satiété, ou pour la faim ?
L’expérience de la satiété est évidemment fondamentale. Elle porte bien au-delà du fait d’avoir le ventre plein. Car dès le premier instant de notre vie, la satiété est liée à la relation. Le nourrisson, incapable de se nourrir lui-même, fait l’expérience d’être nourri, d’être objet d’attention et de soin, et dès lors il apprend la confiance, il trouve la sécurité intérieure qui lui sera nécessaire toute la vie.
Nous l’oublions facilement ensuite, mais la satiété repose toujours sur un don, sur la grâce d’une altérité. Même à cuisiner les légumes de mon propre jardin, je n’ai pas fait tomber la pluie, ni inventé l’eau chaude : tout cela je l’ai reçu des autres, d’une culture, d’une société, de Dieu. L’auto-suffisance, l’auto-satisfaction sont toujours une illusion, un mensonge dont il faut se détromper pour entrer enfin dans l’action de grâce : la vie est un don.
Pourtant cette vie est encore traversée par la faim. Et la faim aussi est une bénédiction. Entendons-nous : il y a aujourd’hui encore des hommes et des femmes qui meurent de faim, de toutes sortes de faim, et c’est un scandale. Mais ce n’est pas la faim qui tue, c’est l’absence de nourriture, c’est l’égoïsme qui refuse de partager les biens, l’attention, l’affection. Au contraire, si j’ai de quoi me nourrir, c’est une très bonne chose d’avoir faim. Car aujourd’hui, on meurt aussi de ne plus avoir faim, de perdre cette ouverture, ce désir, cette espérance indispensables pour accueillir le don de la vie, le don de l’autre qui me fait vivre.
L’autre n’est d’ailleurs pas seulement celui qui me nourrit ou que je nourris, il est celui dont j’ai faim. Dès lors que je l’aime, il est mon « manque », ce que je ne peux ni posséder, ni me donner à moi-même. L’illusion la plus courante et la plus tenace sur l’amour, c’est de croire que je vais finir par rencontrer celui ou celle qui me comblera enfin ; illusion spirituelle, encore, de croire que Dieu va me combler, va rassasier en moi toute faim. Au contraire : l’amour est une satiété qui creuse la faim, car elle déploie le désir.
Aussi la tentation est-elle grande de fuir l’amour véritable dans ses succédanés, de se ruer sur les piteux mate-faim de jouissances grossières, ou sur les coupe-faim du moralisme et de l’idéologie. Tentation encore de s’amputer de tout amour irréductible aux seuls devoirs de la charité, ou de le refouler. Certains détachements, loin d’être l’expression d’une liberté, ne sont qu’une défense contre le risque de la relation et de la faim. C’est tellement facile d’aimer son détachement ; c’est tellement plus difficile d’aimer quelqu’un. Accepter le lien, et donc aussi accepter le manque, est la seule vraie liberté, si du moins j’accepte encore que ce lien soit toujours retravaillé, élaboré, si j’accepte que la faim me travaille et me change.
La satiété et la faim. L’eucharistie est ce pain qui rassasie notre foi en éveillant notre faim, faim de voir face à face celui que nous rencontrons sous le signe du sacrement. Que le Seigneur comble notre attente ; qu’il creuse notre faim.