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HOMELIE

13 février
année 2021-2022

Année C - 6°dim du tps Odinaire - 13 février 2022
Jér 175-8 ; 1 Co 15 12-20 ; Lc 6 17-26 ;
Homélie du F.Benoit Andreu de Fleury

Bonheur et malheur, rires et larmes, faim et satiété, estime et mépris. L’évangile des béatitudes nous touche car il aborde des réalités très simples, très sensibles, qui se mêlent en toute vie, et dans leur enchevêtrement souvent confus il trace un chemin.
Les Écritures nous en offrent plusieurs versions. Celle de Matthieu, que nous avons entendue à la Toussaint, était toute de douceur : Jésus y proclame bienheureux les pauvres de cœurs, les doux, les assoiffés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs. La version de Luc, que nous venons d’entendre, est assurément plus âpre. Car le bonheur n’y est plus lié à des dispositions intérieures que nous aimerions bien faire nôtres, mais à toutes sortes d’adversités extérieures qui nous font peur : précarité, douleur, faim, haine, exclusion, mépris. Et puis il y a cette proclamation déconcertante du malheur de ceux que la vie semble avoir épargnés, car ils ne manquent de rien, car ils savent encore rire. Alors nous aurions peut-être envie de reprendre les mots que les disciples, en d’autres circonstances, avaient osé dire à Jésus : « Cette parole est dure, difficile, qui peut l’entendre ? »
Cette parole est difficile car en plaçant le consolation des affligés au futur, ou encore « dans le ciel », elle heurte notre soif d’établir dès maintenant la justice. Disons-le d’une simple image. Quand les évêques de France, après la publication du rapport de la CIASE, se sont réunis pour prier devant l’image d’un enfant en larmes, ça ne pouvait évidemment pas être pour proclamer « heureux vous qui pleurez maintenant, vous rirez », mais pour demander pardon et s’engager à tout faire pour que de telles larmes ne soient plus versées.
Car les larmes de nos frères et de nos sœurs nous requièrent ; elles nous requièrent dès maintenant, et quelles qu’elles soient (les larmes n’ont pas d’odeur). Alors pour être juste — je dirai même, pour ne pas risquer d’être cruelle — notre proclamation aujourd’hui de l’évangile des béatitudes doit s’accompagner d’une question et d’un engagement : « De quelles larmes, autour de moi, suis-je indifférent ? » ; « Que requièrent-elles de moi ? »
Cette parole est difficile car nous pourrions l’entendre sur un mode doloriste, comme une sorte de complaisance dans l’adversité et la souffrance dont on ferait le seul chemin valable en cette terre qu’il faudrait non seulement traverser comme une « vallée de larmes », mais encore d’un pas allègre, puisque les béatitudes donneraient à ces larmes le sens d’une espérance.
L’empressement d’une certaine spiritualité chrétienne à déclarer qu’on pourrait donner un sens à la souffrance, lui reconnaître une valeur salvifique, peut légitimement nous heurter. Car le propre de la souffrance n’est-il pas d’être toujours insensée et destructrice ? Lui prêter un sens, est-ce un magnifique acte de foi ou un terrible acte de déni ? La foi ne consiste-t-elle pas plutôt à affirmer que la vie seule a du sens, et de croire qu’elle a assez de sens pour traverser même le non-sens de la souffrance ? C’est le sens du mystère pascal : nous croyons en un Christ souffrant, mais il est le Dieu de la vie et non pas le Dieu de la souffrance. Dans la bouche de Jésus, ces béatitudes si déroutantes n’ont pas été une parole dure parce que sa vie donne sens à notre vie. Ce sens, ce n’est pas d’abord une doctrine, mais son amour, et l’amour qu’il nous appelle à avoir les uns pour les autres. Si nous cherchons ailleurs le sens de la vie, dans les richesses, les plaisirs, la capacité à rire de tout, la notoriété, nous cherchons un faux sens qui donne peut-être au quotidien un certain confort, parfaitement respectable, mais qui ne suffit pas au bonheur. Alors Jésus nous prévient : « Quel malheur pour vous ! »
Concrètement cela signifie aussi que les larmes de nos frères et de nos sœurs requièrent encore notre capacité à leur manifester le sens et la beauté de leur vie. Notre amour seul peut le faire, la plupart de temps de façon très simple : quand on s’enfonce dans la peine, il suffit souvent d’un sourire, d’un regard plein de bonté pour nous relever. Ce ne sont pas les grandes phrases, mais ces petites virgules du quotidien, ces actes d’amour et de douceur qui ponctuent la course des jours, qui nous donneront d’être avec Jésus artisans des béatitudes.

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